« On ment à la population » : le scandale de l’air pollué en France

Le parisien

Des mesures de la qualité de l’air effectuées à Paris vendredi montrent des taux plus élevés que les normes officielles. Explications avec Jean-Christophe Brisard, auteur et documentariste, qui s’est penché pendant près de deux ans sur la qualité de notre air.

La pollution de l’air s’améliore-t-elle, comme l’affirmait une agence du ministère de l’Environnement en novembre 2018 ? Pour le vérifier, nous avons effectué des mesures à Paris vendredi, à l’aide d’un capteur disponible dans le commerce. La journée était très ensoleillée et Airparif, l’association chargée de mesurer la qualité de l’air en Île-de-France, affichait un beau vert, soit une « pollution faible » dans la capitale. Sauf que localement, nos résultats sont bien plus sombres. Et ces particules fines ne concernent pas que l’Île-de-France.

Pourquoi un tel décalage entre les normes officielles et nos relevés ? Dans son livre « Irrespirable »*, Jean-Christophe Brisard décortique le « scandale des pressions, collusions et mensonge pour que rien ne change ». Il a lui-même quitté la capitale quand sa fille a fait de l’asthme. « Ça va beaucoup mieux. Mais tout le monde ne peut pas ainsi déménager », reconnaît-il. Il nous répond en exclusivité.

Dans votre livre, on a l’impression que l’État préfère cacher la poussière sous le tapis que de s’attaquer à la pollution de l’air ?

JEAN-CHRISTOPHE BRISARD. J’ai fait beaucoup d’enquêtes sur les trafics de drogue et d’arme. J’en étais surpris mais je me suis retrouvé face aux mêmes logiques de dissimulation et d’intimidation. Les scientifiques savent qu’on mesure les mauvais polluants, qu’on ment à la population. Récemment, il y a eu un pic de pollution. Paris et Lyon ont pris des mesures de restriction de circulation à partir du seuil de PM 10, des particules assez grosses qui irritent, certes. Mais dont la dangerosité est bien moindre que celle des particules fines et ultrafines. Le ministère de la Transition écologique se justifie en expliquant qu’on ne sait pas mesurer les plus petits polluants. C’est faux.

Alors pourquoi ne pas les mesurer ?

Parce qu’au lieu d’avoir des pics de pollution quelques jours par an, on serait presque toujours en pic si on mesurait les vrais polluants dangereux.

VIDÉO. Une enquête révèle le scandale de la pollution de l’air en France

Vous évoquez les « semeurs de doute » au premier rang desquels le Citepa. C’est quoi ?

Le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (Citepa) est un organisme central dans la politique de protection de l’air en France. Il est chargé par l’État d’effectuer l’inventaire annuel des concentrations de polluants. Or ce n’est pas une administration mais une association… contrôlée par les entreprises les plus polluantes de France (pétroliers, chimistes, fabricants de pesticides). Au cours de mon enquête, je me suis rendu compte que son président est un ancien lobbyiste et qu’il est intervenu auprès de la Commission européenne pour que les seuils de pollution soient les moins stricts possible.

Le constat semble désespérant ?

La pollution atmosphérique, c’est dangereux mais ce n’est pas irrémédiable. Les citoyens doivent faire pression sur les dirigeants. Pour cela, il faut démocratiser l’accès à l’information. Des municipalités, des écoles peuvent s’équiper de capteurs. Je suis très optimiste. D’ici quelques années on connaîtra tous la qualité de l’air en regardant notre montre.

« Irrespirable, le scandale de la qualité de l’air en France », Jean-Christophe Brisard, éditions First, 19,95 euros.

Emilie Torgemen

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